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Un polar honnête. Pas nécessairement le meilleur du genre, mais un agréable moment de lecture.
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Voyage en livre, embarquement immédiat vers des lieux de rêve durant une époque de rêve : le détroit de Béring, les îles Aléoutiennes, le grand chnord qui fait des Russes et des Américains des voisins très proches, pêche en folie à - 40°, immenses bateaux rafistolés de gris qui brisent les glaces, tonnes de poisson gelé, le tout à l'époque soviétique... Tu ne peux pas mieux souhaiter comme croisière de luxe. Pourquoi je me suis mise à ce livre, moi ? Déjà, parce que j'ai comme une attirance pour les pays du froid : les auteurs scandinaves, Jack London et son Yukon. Et puis ce beau film ferroviaire qui finit à Mourmansk, "Compartiment n°6" avec le sexy Youri Borissof. Ou le très étrange "Lilian" (2019) qui retrace une histoire vraie : une Russe, Lilian donc, émigrée à New York, rejette la vie américaine et son horizon pornographique, et décide de rentrer à la maison Russie, à pied, marchant à travers les Etats Unis, pour rejoindre l'Alaska et le fameux détroit de Béring. Même pas en stop. A pied. Sur ses talons hauts. Elle y mettra trois ou quatre ans. Pour finir, on dit, "on dit" qu'on aurait aperçu une femme un peu rugueuse qui vivrait à l'Est de la Russie, du genre sauvage, qué s'apélorio Lilian. Ainsi qu'un penchant non dissimulé pour les marins. Pas Lilian. Moi. Et puis en ce moment, je bûche les dégâts qu'a pu faire la Russie et/ou l'Union Soviétique à tous ceux qui ont la disgrâce d'être ses voisins. Ça me fascine parce que ça m'horrifie, cette persévérance à répandre le malheur comme ça. J'ai bien révisé les voisins à l'Ouest, de la Finlande à la Moldavie. J'ai un peu défriché les voisins en Stan au sud, mais grosses lacunes du côté Est, Vostok (moyen mnémotechnique : Vladi veut dire "qui domine, qui brille sur", et Vostok veut dire "l'Est". Vladivostok veut donc dire : qui domine/qui brille sur l'Est) A Vostok, quoi de nouveau ? Il y fait froid très froid. Car là on se situe bien au nord de Vladivostok, ouh la la, si on compare, cette charmante ville fait quasi-office de cité balnéaire avé les cocotiers ! Même les îles Aléoutiennes, américaines, bordent le sud de la mer de Béring. Dutch Harbour (où se passe une partie du livre) existe vraiment, sur l'île aléoutienne d'Unalaska. J'ai encore dégainé mon gros Atlas, pour mon plus grand plaisir. Les soviétiques avaient pactisé avec les Américains, une fois n'est pas coutume, autour de la pêche. Les moyens chalutiers américains pêchaient leurs tonnes de poisson, qu'ils reversaient à l'immense bateau-usine, soviétique, l'Etoile Polaire. En échange de, ah meurde, j'ai oublié. Ce transfert se faisait en mer, d'énormes filets venaient se déverser sur le bateau-usine, qui traitait immédiatement le poisson - travail ingrat - avant de le congeler, pour nourrir la très sainte Soviétie. L'histoire, c'est qu'un jour dans ces filets, on trouve le corps de Zina, la belle géorgienne qui bossait aux cuisines sur l'Etoile Polaire. Le héros de Gorky Park (autre roman de l'auteur, qui l'a rendu célèbre), Arkadi Renko, ex-inspecteur à Moscou devenu simple manutentionnaire sur le bateau, est chargé de l'enquête. Le tableau, c'est la vie des ouvriers de ce "bâtiment" dans les années 80, au moment où Gorbachev pointait le bout de son nez. Le pays était encore sanglé dans les vieilles habitudes moisies du communisme qui voit tout qui sait tout qui imagine tout et qui condamne tout. Mafia corruption drogue, tout ça existe, mais chut on vire tout sous le tapis, ce qui compte c'est que la religion du peuple garde une apparence lisse d'efficacité de victoire de toute puissance. Avec ce livre, on se remémore des petites choses, effrayantes quand on y pense. Quand on y pense, on ne POUVAIT pas quitter le pays. Du grand danseur du Bolchoï au simple manutentionnaire, c'était la faute ultime, rien qu'y penser te mettait en danger, rien que de connaître quelqu'un qui l'avait fait te rendait gravement suspect. Dans quel pays ça existe encore, ça ? En Corée du Nord ? Il y a un commissaire du peuple sur le bateau. Qui ne sert à rien mais c'est comme ça, il y en a un dans chaque bateau, raconte un des personnages, et la paye n'est pas mauvaise, alors imaginons combien de pognon du peuple s'envole dans ce genre de kônneries. Le gars, il guette surveille le moindre faux pas, tout ce qui ressemble à une conspiration, il se méfie de tout et de tous, comme si les gars qui bossent dur sur le bateau n'avaient que ça à faire. Quand on y pense, vivre sous surveillance H24, c'est pas effrayant comme petite chose ? Quand tu dévies de la ligne du parti, du Parti pardon, du temps de Staline c'était la mort après torture, ou le goulag. Sur simple dénonciation de rien du tout. Du temps de Brejnev on a fait dans le subtil, avec les hôpitaux psychiatriques. Un rien effrayant, ce qu'on t'envoyait dans les veines, sans blaguer, la résilience de ce peuple soviétique est impressionnante. Je suis toujours épatée qu'il y ait eu des survivants au goulag ou à ce genre de traitement. Et encore aujourd'hui, ce que subissent les prisonniers ou les apprentis soldats en Russie, c'est affolant de brutalité et pourtant, il y en a qui survivent. Le personnage de Karp nous en donne une bonne idée, j'imagine aisément que la troupe des Wagner de Prigojine devait compter ce genre de gars dans le lot. Au secours. Et pourtant en Sibérie ou ailleurs, dans les années 80 ou avant, on tombe amoureux, on rêve de petite maison cosy, on chante, on s'envoie en l'air, on se saoule évidemment, on danse, on meurt de romantisme, on bosse dur sans faiblir, on a des copains, on aime son pays. Et on attend que le petit frémissement de peut-être liberté venu de Gorby fasse effet et qu'on respire mieux. Pas bien. Mais mieux. Sacré pays sacrés gens. Parcouru tout le livre en bon plaisir de lecture, et pourtant, c'est rare, je n'arrivais pas à visualiser les lieux, qui allait où, sur quel bateau, à quel étage... Il y a pourtant un schéma du bateau en début de livre, mais rien n'y a fait, j'étais déboussolée. J'aimais quand même suffisamment cette ambiance glacée, dure au mal, ces femmes qui dansent, ces hommes bien braves, ou pas dupes, mais finalement de bonne volonté. Un curieux moment en terre américaine, une révélation dans des bras accueillants, et surtout, une scène homérique sur la glace dans le brouillard, voila de quoi rendre ce livre marquant. Dire que j'ai tout compris, je ne suis pas sûre, mais ce n'est pas important, j'ai navigué dans les mers glacées avec ce beau monde et ça me va déjà très bien. Un petit truc m'a gênée, cependant : l'auteur est un Américain, fils de musiciens de jazz, sa mère, amérindienne, était aussi militante de la cause, il est né en 1942... jusque là, rien à redire, au contraire, très bien mais... Pourquoi l'URSS ? Or il me faut une confiance absolue en ce que je lis, tout doit être pertinent, et là, j'ai trouvé tout très crédible, intéressant, fouillé, nuancé aussi, comme si l'auteur était de ces Russes pas dupes et non pas un Américain donnant son point de vue sur le monde communiste. Comment est-ce possible ? Même s'il a vécu là-bas, et y a fait plusieurs séjours. Du coup j'hésite à lire ses autres livres se situant en URSS, puis en Russie libérée, puis dans la Russie de Putin et même en Ukraine après Maïdan. Seul un Russe vieux de la vieille pourrait me donner son avis sur ces romans qui ont l'air top.
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