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S'il est un pays qui provoque des réactions contrastées dans notre mémoire c'est bien celui-ci. L'aventure ,avec Kessel et Kipling , la beauté sereine ,avec les albums de photos de Roland et Sabrina Michaud mais aussi l'angoisse avec ses guerres interminables et l'horreur avec les images de la barbarie des talibans. Cet ouvrage permet de mieux comprendre la genèse du présent , dans cette région où se heurtent , s'affrontent mais aussi fusionnent et se marient , les Empires et les religions. Je l'ai trouvé passionnant.
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Michael Barry est chercheur en langues et civilisations musulmanes. Fin connaisseur de la culture perse, il a traduit le poète persan médiéval Nezami de Gandjeh. Il a été aussi un homme de terrain en Afghanistan en mission pour la Fédération internationale des droits de l'homme et coordinateur pour Médecin du monde ou consultant pour les Nations Unies. Ce livre est donc autant celui d'un spécialiste et d'un intellectuel que d'un homme qui a connu intimement le pays et les hommes pendants les périodes troublées de l'invasion russe ou des conflits qui ont suivi leur départ avec l'arrivée des Taleban. Le livre a donc été écrit en trois temps : en 82 juste après l'invasion soviétique, pour la partie centrale qui va chercher dans la longue histoire les éléments qui ont conduit à cette invasion. Puis, en 1991, après le départ des Soviétiques pour analyser le déroulement de l'occupation et son échec et enfin après les attentats du 11 septembre lorsque les Américains ont déclenché le feu sur l'Afghanistan à la recherche de Ben Laden. Le premier chapitre intitulé "le rempart de la foi" dresse un premier portrait de quelques données essentielles (des invariants en quelque sorte) pour comprendre les mouvements de résistance à l'envahisseur qui vient d'occuper le pays : un pays non développé (plutôt que sous-développé), indépendant depuis deux siècles et demi, jamais colonisé au prix d'un isolement géographique et culturel, d'un archaïsme certain et que la modernité effleure à peine. L'Afghanistan est un pays à la géographie difficile (déserts, hautes montagnes) peuplé de tribus montagnardes et de paysans menant une existence spartiate, tous profondément attachés à la foi musulmane majoritairement sunnite. Plusieurs communauté cohabitent : les Pashtouns et les Tadjiks (40% chacun) puis les Hazaras (10%) puis les Nouristani, les Turcs, les Baloutches et quelques Sikhs. Les Pashtouns ont occupé l'essentiel des positions de pouvoir pendant l'indépendance. Ce premier chapitre met en évidence l'importance de l'islam, de la renaissance islamique et des différents courants libéraux, intégristes, soufis qui s'opposent. Le marxisme et l'intégrisme sont dans les années 70, les deux courants de pensée qui s'offrent aux contestataires de la monarchie constitutionnelle alors en place. Le deuxième chapitre s'intitule " les tenailles du Grand jeu. 1649-1978". Il se centre sur l'histoire et la géopolitique de ce petit état encaissé et encastré entre les grandes puissantes. L'auteur parle de miracle historique : l'Afghanistan se situe au milieu du conflit entre deux empires : d'un côté l'empire iranien des shahs séfévides et de l'autre l'Empire indo-musulman des Grands Moghols. Lorsque ces deux empires s'effondrent au XVIIIe siècle, les Afghans peuvent avoir leur royaume propre au cours d'une brève parenthèse avant que la lutte pour la domination de l'Asie centrale n'oppose l'empire russe au nord et l'empire anglo-indien au sud. "La rébellion contre les grands empires constitue même le motif central de leur histoire", affirme l'auteur. C'est là l'idée centrale qu'il développe pour comprendre le pays de l'insolence : "aucun envahisseur étranger et même aucun pouvoir central n'a jamais réussi à conquérir et soumettre les montagnes à l'Est de Kaboul où l'Afghanistan est né". L'auteur parle de la capacité des Afghans et des tribus de se rebeller contre toute tentative de domination par des combats sans merci et parfois suicidaires, et, plus spécifique, par la capacité à "disparaitre, à se désagréger" pour ne donner aucune prise à un pouvoir quelconque. Ceux qui ont pu avoir le pouvoir à Kaboul se rendait vite compte qu'ils n'avaient le pouvoir sur rien d'autres que quelques km2 autour d'eux. Ce chapitre décrit par ailleurs le détail des affrontements entre Russes et Anglais autour du territoire afghan par des guerres, des tentatives de contrôle et une politique d'alliance et de contre alliance avec les chefs de tribus dans un jeu diplomatique complexe et mouvant. L'idée essentielle est que les tribus et les chefs se comportent en rebelles et en parasite à l'égard des empires. Ils refusent la soumission mais ont besoin pour asseoir leur pouvoir intérieur de la richesse que les empires acceptent de distribuer pour s'allier avec tel chef ou pour favoriser tel chef qui sera du coup favorable à leurs intérêts.. jusqu'à ce qu'un intérêt supérieur les remplace. Les chefs de tribus, pour être respectés, doivent se plier aux règles de la redistribution interne auprès des leurs : sans la reconnaissance d'un empire et sans la richesse qui va avec, ils ne sont rien. Mais dans le même temps s'ils paraissent trahir les leurs et surtout ne pas respecter les préceptes de l'islam, ils ne sont rien non plus et l'obéissance cesse très vite. Le jeu tribal est un peu complexe... Les grandes puissances vont avec plus ou moins d'habilité jouer ce "grand jeu" . Et d'ailleurs c'est ce grand jeu qui va permettre à l'Afghanistan de rester indépendante, zone tampon entre les grandes puissances. Pourquoi cela a t'il changé dans la deuxième partie du XXe siècle? Pour l'auteur, la responsabilité en incombe aux leaders afghans comme Daoud qui ont cru pourvoir manipuler le pouvoir soviétique alors que la menace anglaise disparaissait au sud avec la décolonisation de l'Inde. L'erreur de Daoud a été de penser que les Russes n'auraient plus la volonté d'envahir l'Afghanistan si la menace anglaise disparaissait et d'oublier que c'était la présence anglaise qui freinait les visées expansionnistes de la Russie devenue URSS. Par ailleurs, Daoud a fait du Pakistan son premier ennemi en réclamant les territoires Pashtouns intégrés au Pakistan en suivant la ligne Durand. Enfin, l'auteur met en cause la politique étrangère américaine de l'époque. Les États-Unis remplacent la Grande Bretagne mais font preuve d'une ignorance des enjeux locaux et d'une maladresse diplomatique majeure qui pousse le leader afghan à rechercher une alliance militaire avec Moscou. Le troisième chapitre s'intitule "l'Afghanistan concentrationnaire, 1978 -1980" et traite de la conduite du pouvoir par les communistes afghans suite au coup d'État du 27 avril 1978, notamment avec la rivalité entre les deux leaders communistes Babrak Karmal et son adversaire Taraki. Les communistes au pouvoir lancent une politique de répression d'une extrême violence à l'égard de toute opposition et notamment contre la religion musulmane, ce qui démontre une méconnaissance et une déconnexion totale avec le pays réel. Les paysans se révoltent et retrouvent les réflexes du " Yaghestan" le pays de l'insolence. L'URSS se voit contrainte d'intervenir militairement à la fin de l'année 78. Le chapitre suivant " Lumière dans la nuit" a été écrit au printemps 89 au moment du retrait soviétique. Il mélange les observations de terrain de l'auteur présent à l'époque et son analyse politique et géopolitique. Il chronique ainsi l'échec de la résistance afghane. Son extraordinaire capacité à résister à toute forme de pouvoir a pour corollaire son incapacité à proposer une solution d'unité. Le jeu tribal afghan, en raison des mécanismes évoqués plus haut, incite voire rend nécessaire une intervention étrangère. Le rôle trouble du Pakistan de Zia sera déterminant. Il va jouer le jeu tribal pour maintenir la rivalité entre plusieurs groupes et favoriser celui qui va le plus dans ces intérêts, à savoir en écartant les personnalités intellectuelles (en tout cas celles qui avaient survécu au pouvoir communiste), en favorisant sciemment les personnalités peu éduqués et de peu de culture et en poussant les États-Unis (manifestement toujours aussi peu en capacité de comprendre par eux mêmes le contexte local) à soutenir les partis les plus fondamentalistes et les plus hostiles ; à savoir le parti de Hekmatyar. Ce qui laisse songeur quand on songe au 11 septembre.. tout cela aboutit à une libanisation de l'Afghanistan, alimenté des massacres entre afghans eux-mêmes. Enfin le dernier chapitre s'intitule " nuit sans lumière". Il retrace la période qui va du retrait soviétique aux attentats du 11 septembre, et en éclaire les racines géopolitiques. La politique américaine va se focaliser sur un ennemi : le régime chiite de Téhéran. Les Américains vont donc s'allier aux régimes sunnites, notamment les wahhabites de Ryad et vont soutenir et armer l'Irak lors la guerre Iran -Irak, alors même que l'agresseur était bien l'Irak. L'idée est l'endiguement de l'Iran. La brutalité de la politique américaine, leur non respect des droits de l'homme qu'ils sont censés défendre, va alimenter la paranoïa anti américaine et anti-occidentale dans l'opinion des peuples musulmans. La trajectoire de Ben Laden en est l'illustration. Issu de la jeunesse dorée saoudienne, il va rejoindre les maquis afghans contre l'occupation soviétique. Revenu en Arabie saoudite, il est choqué, par l'alliance des dirigeants de son pays avec les impies américains et va se lancer dans l'action violente (attentat sur une base américaine). Il est expulsé d'Arabie Saoudite et déchu de sa nationalité. Il se réfugie donc en Afghanistan où il devient un maitre à penser des taleban et un proche de Mollah Omar développant une rhétorique paranoïaque anti occidentale et anti-sémite. En conclusion, l'action des Etats-Unis a conduit à renforcer le régime de Saddam Hussein et les forces des taleban qui vont prendre le pouvoir en Afghanistan tout en assurant un sursaut patriotique en faveur du régime des mollahs. Et pendant ce temps sur le théâtre afghan, la Pakistan poursuit sa stratégie de contrôle et de vassalisation de l'Afghanistan. Le Pakistan souhaite un pouvoir afghan qui ne conteste plus la ligne Durand et la partition du pays Pashtoun. En outre l'Afghanistan est censée lui servir de base arrière dans le cadre d'un conflit avec l'Inde, ou au moins ne pas créer une ligne de front supplémentaire. Ils font le choix de soutenir les fondamentalistes les plus extrémistes, financièrement et militairement. Le Pakistan, dominé dans ses représentations par une vision raciste des castes issus du monde indien et de l'occupation anglaise, s'appuie sur les Pasthouns d'autant plus que le pays a su s'allier les tribus Pasthouns de son coté de la ligne Durand et que ceux -ci occupent un place majeure dans l'armée. Massoud, musulman modéré, d'ethnie tadjik réussit à s'établir à Kaboul en 1992. L'auteur a eu de nombreux contact avec l'"amer shah", notamment lors du siège de Kaboul par les forces d'Hekmatyar soutenues pas le Pakistan au début des années 90. Il ne cache pas sa sympathie et son admiration pour les qualités de meneur d'homme, de fin stratège et de lettré de celui qui a été l'espoir d'un Afghanistan unissant les différentes ethnies. Il a toutefois été pris lui-même dans le jeu ethnique, étant Tadjik. L'auteur raconte assez précisément les années 92 à 96, date de l'évacuation de Kaboul par les troupes de Massoud et la prise de pouvoir des Taleban, les revirements d'alliance, les trahisons et le rôle du Pakistan et, derrière, des Etats-Unis. Il évoque aussi le rôle d'Al-Qaïda et des musulmans "internationaux" qui "parasitent" les taleban. L'histoire se termine avec l'assassinat de Massoud le 9 septembre, deux jours avant les attentats du Word Trade Center. Sa mort était nécessaire au projet de Ben Laden, comme à celui du Pakistan afin qu'il n'y ait aucune autre figure susceptible d'unir le peuple afghan. Une lecture passionnante et très instructive comme en témoigne la longueur de cette chronique.
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