Fédération Wallonie-Bruxelles|

Quel roman étonnant ! Il s'agit plutôt d'un récit, autobiographique pour partie, mais essentiellement attaché à retrouver et comprendre les fils d'une histoire familiale assez peu ordinaire. L'auteur nous invite à croiser tous les personnages fascinants de son arbre généalogique, dans un enchevêtrement de fausses identités, de dates de naissance falsifiées, de patronyme peut-être mal orthographié, d'adoptions mystérieuses. Une galerie étrange de personnages presque farfelus (surréalistes) : une grand-mère victime de la polio qui règne en matriarche dans son hôtel particulier, écrit des ouvrages sous divers pseudonymes et devient orthophoniste, un grand-père médecin qui déteste le sang et qui, juif pendant la seconde guerre mondiale, simule sa fuite pour se cacher dans l'entresol, un oncle (Christian Boltanski, le plasticien) modelant des boules de pâte à modeler, d'un père qui le premier s'émancipe de la famille-cocon (Luc Boltanski, le sociologue)... Un microcosme replié sur lui-même, pas tout à fait imperméable à la vie sociale (on croise André Breton) mais, bien que niché autour d'une mère qui protège, isole, cache, va développer la créativité de ses hôtes. Les parties du livre s'agencent autour du plan de la maison, révélant les anecdotes, racontant quelques secrets à peine dévoilés... J'ai été très agréablement surprise par cette lecture, un peu désarçonnée par la multiplicité des dissimulations, mais j'ai dévoré les 344 pages, fascinée par cette famille hors du commun !
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Christophe Boltanski La Cache Stock On enquête beaucoup sur sa famille, cet automne, du côté des nouveaux auteurs Stock. En même temps que paraît Les Bannis, de Laurent Carpentier, voici La Cache de Christophe Boltanski, étonnante plongée moins dans la « cache » en question, laquelle n'apparaîtra qu'aux trois quarts du livre, que dans celle, un hôtel particulier et décrépit de la rue de Grenelle, à Paris, où s'abritèrent du monde et de ses violences, dans les années trente, un médecin juif d'origine russe converti au catholicisme et sa femme, handicapée par la poliomyélite, communiste issue d'une famille antisémite, romancière sur le tard... Que ce couple déjà peu banal ait enfanté Jean-Elie le linguiste, Luc le sociologue et Christian l'artiste pourrait nous laisser craindre, en découvrant sur les étals des librairies ce livre du petit-fils, un pesant exercice d'admiration de ce dernier pour son père et ses oncles, une histoire de famille au final inintéressante au-delà de son cercle, l'hagiographie clanique d'une parentèle d'intellectuels. Il n'en est rien. Explorant peu à peu - plans sommaires à l'appui en tête des chapitres - les différentes pièces de la demeure comme on ouvrirait l'un après l'autre les minuscules volets d'une maison de poupées, c'est à une sorte d'archéologie que nous convie Christophe Boltanski : mise à ciel ouvert d'un habitat énigmatique et rêverie documentée sur ceux qui le peuplèrent. Qui étaient-ils ? Pouvons-nous reconstituer leur quotidien ? Les témoins qui survivent disent-ils des vérités ou des légendes ? Sauf que celui qui raconte ici ce Pompéi parisien y a passé le plus clair de son enfance, se souvient, enquête sur ce qu'il y vécut sans le comprendre. L'enquête le mènera jusqu'à Odessa, d'où vint la mère du grand-père Étienne, et jusqu'aux Désertines, vaste propriété terrienne dont hérita "Mère Grand" pour y avoir été placée enfant chez une riche bienfaitrice. Mais les lieux lointains livrent encore moins leurs secrets que le vaste nid tout proche, et chaque fois que le narrateur s'éloigne de la rue de Grenelle dans l'espoir d'aller là-bas saisir quelques fantômes un narrateur comme dédoublé semble lui dire, comme dans le jeu, "tu refroidis". L'Histoire avec un grand H puis les histoires sans majuscule mais non moins égarantes qu'on se racontait en famille et dont les versions différaient d'un membre à l'autre brouillent tant l'anecdote et le mythe, mêlent tant ce qu'elles énoncent et ce qu'elles taisent, bref rendent tant obscurs les identités et les parcours que, toujours, c'est le retour à la maison fouillée, à la maison elle-même, à ce nouveau plan augmenté en tête d'un nouveau chapitre qui jouera comme ressort de l'élucidation. Bachelard écrivait que la poésie opère en étoile : "elle revient à son centre pour lancer de nouveaux rayons". La métaphore vaut pour ce beau livre : c'est au coeur non de la cache minuscule du grand-père sous l'Occupation mais de celle à plusieurs étages de cette famille échappée de l'horreur qu'irradient des peurs transmises comme des virus, des habitudes improbables mais propitiatoires, des anticonformismes jamais vécus comme tels car pensés seulement comme des prophylaxies, des névroses et des talents. Tout ce qui précède, et qui cherche à dire la valeur de ce livre, échoue à en dire la force. Malgré quelques maladresses au début (page 71 par exemple, quand des enfants qui sont dans le dos de leur grand-mère baissent les yeux pour éviter son regard), parfaitement maîtrisé en revanche sur sa structure syncopée, La Cache nous réjouit aussi par l'intégrité jamais prise en faute de sa démarche, et ce jusqu'à un final dont la puissance bouleversante renverse toutes les réticences.
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Un magnifique livre à la Perec, impeccablement construit, intelligent de la première à la dernière ligne, qui tient du jeu de Cluedo, du «Journal» d'Anne Frank et du reportage sur une étrange tribu.
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